Jean-Charles Biyo'o Ella

9 mars 20215 Min

Yaoundé-Brazzaville, l’axe du trafic de bébés

Mis à jour : mars 29

Le 13 janvier dernier, la gendarmerie camerounaise a démantelé un vaste réseau international de trafic de nouveau-nés, mené entre la capitale camerounaise, Yaoundé, et le Congo Brazzaville. Des bébés vendus à prix d’or soit par leur propre génitrice, soit par des démarcheurs.

© DR

«Sur renseignements, la Compagnie de Gendarmerie de Yaoundé III, en collaboration avec la Brigade de Gendarmerie d'Odza, a interpellé, le 12 janvier 2021, six présumés trafiquants de nourrissons organisés en bande criminelle (négociateurs, acheteuses, vendeuses, berceuses…). L'opération menée a permis de récupérer quatre nourrissons âgés de 2 jours à 6 mois, qui ont été conduits à la Fondation Chantal BIYA, pour une prise en charge immédiate. Interrogés, les suspects ont révélé que le prix d'achat d'un nourrisson oscille entre un et trois millions de francs CFA» (entre 1600 et 5000 francs suisses).

Voilà le message que la gendarmerie camerounaise a publié sur sa page Facebook le 13 janvier, avant d’apporter plus d’explications quelques temps plus tard. En fait, le réseau de trafiquants présumés avait élu domicile dans un appartement au sud de la ville de Yaoundé. Appartement qu’il avait transformé en garderie, et c’est là où toutes les négociations se déroulaient.

La garderie était en réalité une boutique de vente et d’achat des nourrissons. Des femmes qui accouchaient et qui ne voulaient pas de leurs bébés venaient s'en débarrasser en échange d'argent. La garderie avait aussi des berceuses qui s’occupaient de ces bébés en attendant leur livraison aux vrais-faux propriétaires qui se trouvaient au Congo Brazzaville, un pays voisin du Cameroun, situé en Afrique Centrale. A l’extérieur, il y avait des démarcheurs et des bons négociateurs qui réussissaient à convaincre les femmes de vendre le fruit de leurs entrailles. Une histoire à peine croyable, mais pourtant vraie.

10'000 francs pour deux enfants

Selon le commandant de Compagnie de gendarmerie de Yaoundé III, «en date du 11 janvier 2021 aux environs de 19h, nous avons reçu un appel téléphonique anonyme d’un citoyen qui nous informait que sa belle-fille, âgée de 19 ans, qui venait d’accoucher, était portée disparue, avec un bébé de 3 jours». Les investigations qui seront entamées dans la foulée, vont conduire les gendarmes dans une chambre au quartier Borne 10 Odza au sud de Yaoundé, où ils vont procéder à l’arrestation de la jeune maman. Celle-ci avait déjà vendu son nouveau-né pour la somme d’un million de FCFA, soit 1600 francs suisses.

Dans la même chambre, les enquêteurs mettront la main sur une mère porteuse, une berceuse, quatre nourrissons, deux acheteuses, dont une congolaise venue directement de Brazzaville pour se ravitailler, et qui a déboursé la somme de 6 millions de FCFA (plus de 10'000 francs suisses) pour deux enfants. Aussitôt, le promoteur de cette activité illégale a été mis aux arrêts. Ce dernier est passé immédiatement aux aveux, affirmant que les nourrissons qui séjournaient dans sa «garderie» n’avaient pas été kidnappés, mais plutôt déposés là «volontairement» par leurs génitrices, contre forte récompense. «Nous savons bien que c’est illégal, ce que nous faisons, voilà pourquoi nous le faisions en cachette. Il n’a jamais été question d’aller porter l’enfant d’autrui. Tous ces bébés qui sont ici, ont des mamans et nous avons leurs contacts. Chacune d’elle venait donner son enfant pour avoir de l’argent», déclarait le présumé cerveau de l’opération.

Explosion du phénomène

Si aucune statistique n’est disponible sur l’ampleur du trafic de bébés, ou globalement d'enfants, au Cameroun, il ne se passe pas un mois sans qu’une histoire de vol de nourrisson à l’hôpital ou à la maison ne fasse les choux-gras de la presse spécialisée dans les faits divers. Les Camerounais ont encore en mémoire l’un des plus gros scandales qui a secoué le gouvernement du pays ces dix dernières années: l’affaire dite «Vanessa Tchatchou».

En effet, Vanesa Tchatchou est une jeune fille enceinte âgée de 17 ans à l’époque des faits, en 2012. Au moment de son accouchement, la jeune fille se rend à l’hôpital, où le travail se déroule normalement. Sauf que son bébé va disparaitre entre la salle d’accouchement et la couveuse, où le nouveau-né prématurément (selon le corps médical) devait être placé. La personne soupçonnée d’avoir volé le bébé sera condamnée à 25 ans de prison ferme pour coaction d’enlèvement aggravé de mineur, et placée en détention à la prison centrale de Yaoundé. Mais en 2018, la détenue va s’évaporer de la prison et disparaître dans la nature, malgré le mandat d’arrêt lancé contre elle. Le bébé de Vanessa Tchatchou n’a jamais été retrouvé.

En octobre 2020, l’hôpital central de Yaoundé a lui aussi été plongé au cœur d’un scandale de vol de bébé. L’affaire a fait grand bruit, mais le bébé n’a jamais été retrouvé. Une jeune mère porteuse de jumeaux affirme avoir accouché de deux enfants. Mais au moment de quitter le lit pour voir ses bébés, elle n'en retrouve qu’un seul. A Yaoundé comme à Douala, à Bafoussam comme à Garoua et Ebolowa, le phénomène de vol de bébé est devenu comme une malédiction. La question que tout le monde se pose est celle de savoir où vont tous ces bébés kidnappés et jamais retrouvés?

Brice Ndjeugoue travaille pour l’Institute for Human Rights and development in Africa (IHRDA). Au cours d’une déclaration faite sur le trafic d’enfants au Cameroun et dans certains pays africains, il affirme que «nombre de ces crimes sont perpétrés par des couples sans enfants et des hommes d’affaires’ qui utilisent ces bébés dans le commerce du sexe et le trafic d’organes humains. Ils transportent ces enfants très loin de leur localité et les forcent à voler, mendier et transporter de la drogue».

Pour étayer son argumentaire, le défenseur des droits humains prend d'autres exemples qui ont défrayé la chronique au Cameroun et qui se sont déroulés dans la zone dite des trois frontières entre le Cameroun, la Guinée Equatoriale et le Gabon. «En date du 3 mars 2018, trois corps d’enfants âgés de deux, quatre et sept ans ont été trouvés à bord d’un véhicule dans la ville de Kye-Ossi, frontalière avec le Gabon et la Guinée Equatoriale. Après l’attaque de l’auberge appartenant à l’un des trafiquants par la population en ébullition, un groupe d’enfants a été secouru par les forces de l’ordre du Cameroun.

Selon un cadre administratif dans le Département de la Vallée du Ntem, les trafiquants avaient enlevé ces enfants avant de les conduire à une auberge dans un quartier situé au fin fond de la ville de Kye-ossi. Ils leur ont administré des produits toxiques qui ont occasionné leur décès. Ils ont ensuite mis ces corps sans vie dans de sacs emballés avant de les placer dans le capot de leur voiture. Le même cadre a révélé qu’il a été arrêté quinze suspects accusés de faire partie d’une bande de trafiquants d’enfants au Cameroun, au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Congo. Toutefois, le phénomène n’est pas propre qu’au Cameroun.

Un trafic au bras long

Au Niger, un pays d'Afrique de l’Ouest, l’homme politique Hama Amadou, ancien président de l’Assemblée Nationale, avait été reconnu coupable en 2017 pour son implication dans le trafic de bébés au Nigeria. Le scandale avait été révélé par plusieurs médias. Le vaste réseau triangulaire impliquait le Niger, le Nigeria et le Benin. Selon les enquêteurs, le scénario était toujours le même: une femme en mal d’enfant contacte un intermédiaire qui la met en relation avec «une clinique» du sud du Nigeria. Laquelle est en contact avec des maisons où sont retenues des jeunes femmes prêtes à accoucher. Après l’accouchement, leurs bébés leur sont enlevés et vendus à ces clientes fortunées. Dès la première rencontre, «la cliente se fait administrer des produits censés faire apparaître les signes de grossesse tels que le gonflement des seins», afin de faire croire à une grossesse. C’est lors du quatrième séjour qu’on lui remet un nouveau-né ou des jumeaux. Direction ensuite Cotonou, au Bénin, où une clinique complice établit de faux certificats de naissance. Avec leurs vrais-faux documents en poche, les «nouvelles mamans» reprennent le chemin de Niamey pour faire enregistrer les nourrissons au bureau de l’état civil.

    2960
    2