Amèle Debey

2 févr. 202217 Min

«On a créé de toutes pièces des problèmes de santé chez les jeunes»

Mis à jour : mars 29

Laurent Mucchielli est sociologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Spécialisé dans les politiques de sécurité et dans la délinquance sous toutes ses formes et jusqu’aux plus hautes fonctions économiques et politiques, il se sert de son expérience pour décrypter la crise Covid d’une façon qui ne plaît pas à tout le monde. Pas même à l’indépendant Mediapart, qui a censuré ses publications à plusieurs reprises. Dans son dernier livre, La Doxa du Covid, Laurent Mucchielli pose des bases nécessaires de compréhension et de lecture de cette situation inédite.

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Amèle Debey, pour L’Impertinent: A quel moment vous êtes-vous dit que quelque chose clochait dans la gestion de cette crise?

Laurent Mucchielli: Ce qui a été le déclencheur, c’est la polémique autour de Didier Raoult. J’ai été absolument consterné de voir qu’un débat se créait autour d’une personne, ce qui me paraissait être une diversion sans aucun intérêt. J’appelle ça le stade people d’une discussion et le degré zéro d’une controverse. Ce qui m’intéressait n’était pas la personne – que je ne connaissais pas – mais les idées, les stratégies de santé publique et la question du soin des malades.

J’ai très vite identifié ce qui me paraissait constituer une aberration dans la stratégie officielle des gouvernements occidentaux, qui consistait d’un côté à mettre à l’écart la médecine de ville, à dire aux gens de rester chez eux avec du Doliprane jusqu’à ce qu’ils aient besoin d’être hospitalisés, et de l’autre, dans la même stratégie, de dire: «Nous n’avons qu’une seule peur, c’est que l’hôpital soit débordé».

Il est impossible de ne pas voir la contradiction: on ne peut pas reporter toute la charge sur l’hôpital et dire qu’on a peur que l’hôpital soit saturé. De même qu’on ne peut pas réduire sans cesse les capacités hospitalières et faire «en même temps» de la saturation des hôpitaux le principal critère de pilotage de la politique de santé. Ce n’est pas sérieux.

C’est ce que vous appelez l’hopistalo-centrisme?

Tout à fait. Cette mise à l’écart des médecins généralistes est la faute originelle du gouvernement français (et d’autres en Occident).

Puis, je me suis rendu compte également que l’on ne réquisitionnait pas les lits disponibles dans les cliniques privées, de même qu’on disait qu’on ne pouvait pas faire de tests alors que les médecins vétérinaires affirmaient le contraire. Tout cela montrait que nous étions gouvernés par un état-major incompétent.

Si on reprend la métaphore militaire d’Emmanuel Macron: on part en guerre en laissant l’infanterie à la caserne (la médecine de ville); on ne recrute pas les bataillons supplétifs sur lesquels on aurait pu s’appuyer (les cliniques privées, les vétérinaires). Enfin, on a un super bombardier, l’IHU de Marseille (les IHU – il y en a sept en France – sont des instituts d’excellence, créés à partir de 2009 avec d’énormes sommes d’argent public). Celui-ci a été construit précisément pour parer aux situations épidémiques virales. Et le jour où cela arrive, on dit à tous ces médecins et ces biologistes marseillais qu’ils sont des charlatans? Tout cela est totalement aberrant.

Vous êtes d’ailleurs la cible de critiques similaires. On vous reproche notamment de sortir de votre domaine de compétence.

Je pense au contraire que tous les travaux que j’ai faits précédemment m’ont largement préparé à pouvoir réfléchir correctement à ces questions sanitaires aussi. La grande différence d’avec beaucoup d’autres intellectuels c’est que je n’ai jamais été pris par l’émotion, par la peur.

J’étais préparé – parce que je le montre sur la sécurité depuis très longtemps – à comprendre comment on peut manipuler les esprits avec des chiffres, en faisant peur. Je me bats depuis plus de 20 ans contre les discours qui disent que la violence est partout, que c’est de pire en pire, que les jeunes sont de plus en plus violents, qu’il n’y a plus d’autorité, etc.

«Il y a une déconnexion grandissante entre le numérique et la vraie vie»

Quand je vois, en mars 2020, des modélisateurs qui présentent un travail disant qu’il va y avoir 500’000 morts en France, juste parce qu’ils ont prolongé des courbes abstraites à partir d’un calcul de potentiel de contaminations de sujets abstraits qui seraient tous les mêmes. Tout ça n’est vrai que sur le papier. Et c’est bien le problème du monde d’aujourd’hui, je trouve: il y a une déconnexion de plus en plus grande entre une espèce de bulle numérique où, fondamentalement, les gens parlent à un ordinateur toute la journée et le réel, la vraie vie, les vrais gens, les vraies relations et interactions.

On bascule dans des sociétés qui réduisent de plus en plus les contacts et les partages d’expériences humaines pour les remplacer par des «solutions numériques» et des applications en tous genres. C’est aussi le techno-solutionnisme que je mets en cause dans mes travaux.

D’ailleurs c’est un peu ce que propose Facebook avec son Metaverse: l’idée de vivre une second life virtuelle.

Oui, je trouve que c’est une évolution désastreuse qui nous prépare bien d’autres problèmes si on ne fait pas rapidement machine arrière. Nous sommes complètement sous l’emprise de ces nouvelles technologies numériques. Bientôt c’est notre téléphone qui réglera tous les problèmes de notre vie et nous dira comment nous comporter.

Comment expliquer, selon vous, que nous ayons choisi cette stratégie-là?

Les sous-titres de mon livre y font référence: peur, santé, corruption et démocratie.

Ce que j’analyse beaucoup dans mon travail depuis le début, ce sont les stratégies de trafic d’influence et de lobbying que déploient les industries pharmaceutiques. Pour qui, évidemment, le médicament générique et bon marché est l’ennemi juré.

C’est une banalité, mais manifestement il convient de le rappeler aujourd’hui: les industries pharmaceutiques n’ont pas pour but de faire le bien de l’humanité, mais de gagner un maximum d’argent. Pour ce faire, il y avait deux solutions: soit on avait immédiatement des médicaments de type antiviraux, brevetés, qu’on essayait de placer et de faire acheter en masse – comme Gilead avec son Remdesivir. Ou alors un vaccin.

Et là aussi, je ne suis pas surpris, car je suis sociologue de la délinquance à la base. Dans le manuel que j’ai écrit en 2014 pour mes étudiants, intitulé Sociologie de la délinquance, il y a un chapitre sur la délinquance des élites. Car la délinquance ce n’est pas simplement des jeunes de quartiers pauvres qui brûlent des voitures ou qui dealent du cannabis. C’est aussi un ensemble de pratiques du monde politique: les formes de corruptions, de fraudes électorales, etc. Ainsi que du monde économique.

La façon dont les industries enfreignent volontairement la loi pour gagner plus d’argent, ne respectent pas telles procédures etc., et comment elles déploient par ailleurs des stratégies de trafic d’influence et de corruption pour sécuriser leur enrichissement et tenter de détourner les formes de contrôles qui risqueraient de leur mettre des bâtons dans les roues.

Dans ce manuel universitaire, j’évoque les multiples scandales qu’il y a eu autour des industries pétrolières, agroalimentaires, cigarettières, automobiles et pharmaceutiques. En France, nous ne devrions pas être surpris puisque nous avons assisté, ces deux dernières années, à l’épilogue de la saga judiciaire du Mediator. Dans laquelle tous ces mécanismes et toutes ces pratiques délinquantes sont parfaitement repérables et identifiables.

«Pfizer est sans doute l'entreprise pharmaceutique la plus condamnée par la justice américaine»

Ce qui est très frappant et qui demeure une question que je me pose depuis le début: comment se fait-il que les journalistes spécialisés, mes collègues universitaires – qui, ces dernières années, ont publié, ont écrit des livres sur ces stratégies industrielles – tout d’un coup ont arrêté de penser et ont été incapables d’avoir les mêmes raisonnements et les mêmes logiques appliqués à la crise Covid?

Gilead en est l’archétype. Il ne faut d’ailleurs plus les appeler labo, car il n’y a pas de labo, il n’y a pas de recherche, il n’y a plus que des coups financiers. Ils achètent un médoc, ils cherchent à faire un gros coup en le plaçant à tel endroit, pour faire un maximum d’argent. Et c’est pareil avec Pfizer, qui est sans doute l’entreprise pharmaceutique la plus condamnée par la justice américaine. Il est absolument sidérant de voir la facilité avec laquelle tant de personnes supposées avoir de l’esprit critique se sont jetées dans les bras de ces thérapies géniques désormais appelées «vaccins» et qui allaient prétendument tous nous sauver.

Vous pensez que tous nos dirigeants sont corrompus?

Pas tous. Je ne fonctionne pas par généralités de ce type-là. Et je ne fais pas de procès d’intention aux gens. J’observe simplement ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Et je constate les liens d’intérêts qu’ils ont.

Par exemple: ce fameux article dans Le Parisien, du 9 janvier 2022, dans lequel un médecin et un juriste, présentés comme tels, nous expliquent que les vaccins sont super-efficaces et sans aucun danger et que les non-vaccinés sont des criminels comparables aux personnes séropositives qui feraient exprès d’en contaminer d’autres. Qui sont ces gens qui se permettent d’écrire de telles âneries?

Je constate alors que le juriste a été candidat aux dernières élections sénatoriales sous l’étiquette de La République en marche. C’est donc un militant macronien. Quant au médecin, il dissimule ses liens d'intérêt avec les industries alors même que c’est une obligation légale pour tout médecin qui s’exprime dans l’espace public que de déclarer ses liens d’intérêt. Je tape alors le nom de ce médecin sur les sites de transparence santé et je constate qu’il a perçu près de 110'000 euros des industries pharmaceutiques ces cinq dernières années.

Vous faites donc un travail de journaliste, puisque ce serait à ceux qui les invitent de se renseigner au préalable?

Je mène en effet une enquête qui ressemble au travail d’un journaliste d’investigation en allant chercher des compétences. Je n’ai jamais prétendu être virologue, mais je suis allé interviewer des virologues, de même que j’ai interviewé des médecins, des épidémiologistes, un généticien, un toxicologue, etc. Je suis allé chercher aussi la compétence de juristes pour décrypter les évolutions législatives et règlementaires, et de statisticiens pour m’aider à analyser notamment les statistiques de mortalité. J’aimerais aussi travailler davantage avec des collègues sociologues et des économistes. Je fais aussi une sorte d’animation de la recherche en coordonnant toutes ces investigations et en les publiant. Enfin, j’y contribue personnellement beaucoup.

Mais il est toujours aisé de trouver des gens qui sont d’accord avec nous. Est-ce que vous essayez, comme les journalistes devraient le faire, de confronter les avis?

A chacun son métier. Je ne suis pas un journaliste qui cherche à mettre en scène un débat contradictoire pour rendre compte d’une controverse sans y être impliqué. Ceci a beaucoup manqué, du reste. Pour ma part, je mène une enquête, je prends un dossier, je l’instruis, puis je passe à un autre. Et quand j’arrive à peu près à la fin et que je pense avoir le recul suffisant, je publie un livre pour donner ma vision globale, preuves à l’appui. A chacun d’apprécier, ou pas.

A votre avis, si on prend en compte les interventions et les diagnostics retardés ou annulés, les soins précoces que l’on n'a pas administrés, les suicides, les syndromes de glissement dans les EMS, la gestion de la crise n’a-t-elle pas fait plus de morts que le Covid en lui-même, dans le monde?

C’est une très bonne question! Il est impossible actuellement de le chiffrer précisément. Ce qui est certain, c’est d’abord qu’il y aurait eu beaucoup moins de morts si on avait laissé les médecins généralistes soigner réellement les gens. Ceux que j’ai interrogés ont vu arriver, dès le mois de février 2020, des maladies inflammatoires des voies respiratoires et ils les ont soignées comme ils ont l’habitude de le faire, notamment avec de l’azithromycine, qui est un antibiotique aux propriétés anti-inflammatoires et bactéricides. Le débat sur l’hydroxychloroquine puis l’ivermectine est arrivé plus tard.

L’erreur dramatique (quelle incompétence!) du ministère de la Santé a été de dire qu’on ne pouvait rien faire et de rajouter «surtout pas d’antibiotique», avec comme argument qu’ils sont inefficaces sur les virus. Mais évidemment! Ils ne sont pas faits pour ça. Lorsqu’on attrape le coronavirus, s’engage dans notre corps une bataille entre le virus et notre système immunitaire. Dans la plupart des cas, celui-ci se débarrasse sans problème du virus. Dans d’autres cas s’engage une bataille plus rude qui provoque des inflammations. Celles-là même sur lesquelles les antibiotiques sont largement efficaces, permettant de contrôler cette inflammation qui, sinon, risque de dégénérer jusqu’au fameux «orage de cytokines» et à la détresse respiratoire nécessitant l’hospitalisation voire le placement en réanimation.

Ensuite, il y a une énorme incertitude sur le comptage des morts. En France, un des pays où le débat est le plus clôturé, où la propagande est la plus contrôlée, on n’a même pas encore commencé à évoquer la différence entre les personnes mortes DU Covid et AVEC le Covid.

Donc, il faudrait d’abord soustraire toutes les personnes qui ont été faussement déclarées mortes du Covid. Par exemple, la personne très âgée et en phase terminale de cancer qui attrape le Covid en arrivant à l’hôpital et qui est comptabilisée comme victime du virus lorsqu’elle décède quelques jours après. Selon les estimations en fonction des pays, l’exagération pourrait être au minimum d’un tiers. C’est pourquoi, si l’on veut apprécier l’impact statistique du Covid sur la mortalité, il faut toujours raisonner sur la mortalité «toutes causes confondues».

«On a créé de toutes pièces des problèmes de santé chez les jeunes»

Donc, pour répondre à votre question, si on soustrait les morts imputés à tort au virus, que l’on réfléchit au nombre de gens qu’on aurait pu sauver si on les avait traités précocement, que l’on tient compte des gens qui avaient des opérations importantes qui ont été annulées et qui sont morts chez eux sans assistance, les suicides et les syndromes de glissement, il est certain que la balance ne penche pas en faveur de la gestion politico-sanitaire du Covid. Cette dernière, dans un pays comme la France, a fait beaucoup plus de mal que de bien de mon point de vue.

Ajoutons enfin la question de la balance bénéfice/risque de la vaccination. Elle est clairement négative pour les jeunes qui, sauf exception, n’ont rien à redouter du virus et chez qui on a donc créé de toutes pièces des problèmes de santé (les effets indésirables de ces «vaccins») qui n’existaient pas.

Puisqu’on vous reproche de sortir de votre domaine d’expertise, retournons-y: croyez-vous en la différence entre liens d’intérêt et conflits d’intérêt?

Bien sûr. Le lien d’intérêt est un fait objectif. Le conflit d’intérêt en est une éventuelle conséquence, qui dépend des situations. Mais quand un médecin s’exprime sur un plateau de télévision à propos de la vaccination et qu’il a perçu de l’argent d’industries qui fabriquent ces mêmes vaccins, sans le déclarer, vous voyez bien le problème qui se pose… Et ce ne sont pas les seuls phénomènes qui entrent en ligne de compte.

Aux liens d’intérêt s’ajoutent souvent ce que j’appelle les phénomènes de cour. Sur les plateaux télé, on voit arriver en priorité le haut de la hiérarchie hospitalière parisienne. Des médecins qui ont aussi des enjeux de carrière dans tout ça. Qui veulent plaire à une hiérarchie, ou à des politiques. Qui en sont parfois proches. Proches du «Conseil scientifique», de la direction de l’Institut Pasteur comme de celle de l’Inserm. Bref, ce sont aussi des médecins qui sont dans des positions de pouvoir et dans un rapport au politique. Il n’y a donc pas que la corruption au sens financier qui vient orienter les discours dans un sens ou un autre.

Votre livre, La Doxa du Covid, qui est une œuvre sociologique, est un puit d’informations documentées qui, au-delà de l’opinion personnelle, revêt un intérêt pour quiconque évoque ce sujet. Quel accueil a-t-il reçu de la part des médias?

A part Sud Radio, je n’ai reçu pour l’instant aucune invitation d’un grand média national. Au contraire, j’ai déjà subi de la censure de la part de deux antennes locales de Radio France. Je commence à en avoir l’habitude. Ce sont toujours les mêmes processus.

C’est-à-dire?

J’ai un contact avec le ou la journaliste en charge de telle émission, de telle rubrique, que ce soit radio, télé ou presse écrite. On commence à discuter, il trouve ça intéressant et créant du débat. Ça permet d’exprimer d’autres points de vue. On prévoit telle intervention pour tel jour à telle heure. Et puis il me rappelle – généralement la veille ou le jour même – pour me dire qu’il est désolé mais que son rédacteur en chef ou sa rédactrice en chef ne veut pas. La censure du non politiquement correct est énorme dans les médias, qui sont devenus à mes yeux un acteur majeur de la propagande gouvernementale.

Quelle raison vous donnent-ils?

Aucune.

Où en êtes vous avez Mediapart? Vous allez fermer votre blog?

Je vais quitter Mediapart, bien sûr. Il y a des limites à l’hypocrisie et à la maltraitance.

Avez-vous eu l’occasion de vous entretenir avec l’équipe? Avec Edwy Plenel, afin d’aborder la situation?

Jamais. Malgré mes tentatives. J’ai écrit personnellement à Edwy Plenel comme par ailleurs à Fabrice Arfi. Il n’y a jamais pu avoir de communication. J’ai également écrit à deux reprises à la rédaction blog de Mediapart. J’ai écrit quatre fois en tout. En disant que j’aimerais discuter. Jamais on ne m’a répondu.

Donc ils n’assument pas que vos propos paraissent sur un blog leur appartenant, ils n’assument pas d’en discuter avec vous, mais ils n’assument pas non plus d’aller jusqu’à la fermeture dudit blog?

Ils m’ont menacé de le fermer. Lors de la dernière censure, il y avait une phrase un peu sibylline qui disait en gros «si vous continuez de parler des vaccins, on fermera tout». C’est tout de même surprenant de la part de gens qui prétendent en permanence défendre la liberté de penser, les lanceurs d’alerte et faire une alliance avec les intellectuels critiques. Je coche les trois cases…

Ce qu’il faut comprendre c’est que, pour beaucoup de journalistes, à Mediapart comme ailleurs, tous ces beaux principes de neutralité et d’esprit critique sont en réalité d’application à géométrie très variable. Quand ça va dans ce qu’on a prédéfini comme étant le «bon» sens, on fait marcher l’esprit critique. Lorsque cela contredit la ligne fixée d’avance, alors l’esprit critique disparaît.

Pour revenir à votre livre La Doxa du Covid, vous y réfutez notamment le terme «complotiste», qui n’a pas de sens dans ce contexte, selon vous, car «ces intérêts n’ont rien de caché, ils s’étalent au contraire sous nos yeux».

Des propos complotistes, j’en vois passer tous les jours. Ce sont en général des choses très simples, univoques, qui ont une seule causalité, qui voient l’histoire comme une ligne droite… C’est aussi simpliste que la propagande gouvernementale.

Depuis le début, j’essaie de tenir une ligne intellectuelle qui n’est ni le complotisme, ni la propagande. Je renvoie dos à dos ces deux genres de narrations qui sont du même niveau à mes yeux.

Il y a plein de complotismes différents. Il y a l’histoire du Great Reset et de la destruction programmée de pans entiers de l’économie. Il y a les complotistes antivax qui pensent que c’est un génocide qui a été pensé pour réduire la population mondiale, et d’ailleurs on aurait trouvé une demi-phrase de Bill Gates il y a sept ou dix ans, qui laisserait penser qu’il voudrait éliminer la moitié de l’humanité, etc. J’ai des enfants, je connais bien les films de science-fiction type Marvel. C’est un divertissement sympathique. Mais ce n’est que cela. La réalité n’a rien à voir avec ces fictions juvéniles. Ce complotisme est même gravement contre-productif car, aux yeux des conformistes et des corrompus, il discrédite le fait même de questionner le rôle de Bill Gates dans la gestion de la pandémie. Alors que ce rôle est bien réel et très important par ailleurs. Je le montre dans le livre.

«Il suffit d'ouvrir les yeux et de regarder tranquillement ce qui se passe»

Encore une fois, je fais un travail d’enquêteur. Et tout enquêteur se demande à qui profite le crime. Il n’y a pas besoin pour ça d’aller imaginer un complot de gens cachés dans l’ombre qui tirent toutes les ficelles dans un but inavouable. Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder tranquillement ce qui se passe. Et, là aussi, je retrouve des choses que j’ai déjà analysées dans mes travaux antérieurs.

En 2018, par exemple, j’ai écrit un livre sur la vidéosurveillance. Qui est une référence sur le sujet parce qu’il n’y en a quasiment pas d’autres en France. Et pour cause: les informations ne sont pas accessibles. Comme j’ai répondu à des commandes publiques pour évaluer les politiques de sécurité dans des villes, j’ai pu avoir accès à des informations à l’intérieur du dispositif. J’ai montré que si la vidéosurveillance n’a qu’un intérêt mineur en terme de lutte contre la délinquance, c’est un marché qui fonctionne très bien. C’est parce qu’il répond à d’autres intérêts (notamment politiques et commerciaux), il suffit de les mettre à jour.

Dans le livre, vous écrivez aussi la chose suivante: «Dans leur quête d’une histoire convaincante, les scientifiques construisent trop souvent des données pour les adapter à leur théorie du monde préférée. Ou bien ils modifient leurs hypothèses pour les adapter à leurs données.» Mais ne sommes-nous pas tous victimes des mêmes biais? Vous comme moi, d’ailleurs?

Oui, bien sûr. Les biais de sélection, de confirmation… Toute personne qui réfléchit est potentiellement victime de ces biais-là. C’est archiconnu. C’est pourquoi il faut les mettre sur la table et travailler tranquillement dessus.

En ce qui me concerne, il y a deux grandes différences avec la plupart des gens qui se sont exprimés dans le débat public: la première c’est que je suis désintéressé, je ne cours après rien. Ensuite, je ne suis jamais tombé dans la peur, dans l’émotion. Et c’est capital. Quel que soit le niveau de diplôme des gens, la peur bloque la réflexion, ou l’oriente dans un certain sens. J’ai des collègues extrêmement capés qui se sont mis à se comporter comme des enfants parce qu’ils ont été saisis par la peur. C’est le premier des quatre éléments constituant la «Doxa du Covid» telle que je l’analyse: faire croire qu’on risque tous de mourir, susciter des comparaisons avec la peste ou le choléra. Or, c’est totalement faux.

Il me semble que la population a compris que le Covid n’était pas si dangereux que ça et qu’elle a de moins en moins peur. Pourtant, elle est toujours aussi docile. Y a-t-il un autre phénomène qui entre en action?

C’est le propre des humains et des sociétés humaines que de fonctionner sur des mécanismes de conformisme. Nous sommes des êtres sociaux. Il existe des sociétés encore plus conformistes où les individus sont totalement interchangeables. Nous ne sommes pas des fourmis, mais nous restons des animaux fondamentalement sociaux, qui préfèrent toujours suivre le troupeau plutôt que d’être mis à l’écart.

Les recherches expérimentales en psychologie sociale, à partir des années 30, ont bien montré cela. Ces mécanismes de conformisme et de «soumission à l’autorité» (Milgram) sont très connus. C’est la base. Ensuite, ceci a été démultiplié par la peur. Pour simplifier: si nous sommes par nature des moutons, et qu’en plus nous sommes effrayés, alors il n’est guère surprenant de nous voir tous courir dans la même direction sans nous poser de questions.

Ajoutons le résultat de la politique et du discours infantilisant tenu par le gouvernement. La Doxa, c’est fondamentalement le discours des dominants qui justifient leur domination et disent à la populace: «Nous sommes les sachants. Vous, vous ne savez pas; mais nous, nous savons ce qui est bien et bon pour vous, nous décidons donc pour vous». Et, comme Jacques Ellul l’avait déjà montré dans son livre sur la propagande, les élites diplômées suivent très volontiers ce discours qui flatte aussi leur supposée supériorité intellectuelle.

«Ce gouvernement achève de décrédibiliser la parole publique»

Ce qui est le plus inquiétant dans tout ça, c’est qu’à force de dire n’importe quoi aux gens et de les prendre pour des enfants ou pour des idiots, ce gouvernement achève de décrédibiliser la parole publique. De même, les journalistes qui relayent cette propagande sont en train de perdre toute crédibilité aux yeux de beaucoup. Enfin, en rejetant tous les gens qui n’adhèrent pas à la propagande hors de l’espace légitime de discussion, ils accroissent encore ce fossé, ils jettent encore plus les gens dans les bras des théories complotistes, notamment. Bref, ils renforcent le problème contre lequel ils prétendent par ailleurs vouloir lutter.

Et il n’y a d’ailleurs pas que les politiciens et les journalistes qui font cela, mais aussi tous ces influenceurs de réseaux sociaux et créateurs de sites Internet que l’on voit débarquer ces dernières années, souvent sortis de nulle part. Tous ces prétendus experts en fact-checking et en anti-complotisme (les «Fact and furious», «Conspiracy watch», etc.), qui surfent juste sur une mode, divisent benoîtement le monde entre les gentils et les méchants et sont ainsi intellectuellement très limités.

Comment est-ce que vous voyez tout cela se terminer. Quel avenir pour la démocratie, selon vous?

C’est effectivement la question que je me pose à la fin du livre. Celle qui m’inquiète tout particulièrement. Les pays qui ont les cultures démocratiques les plus fortes, à savoir les pays scandinaves, sont ceux qui ont le mieux géré la crise, qui ont pris les mesures les moins liberticides et qui ont le moins maltraité leurs populations. Et lorsque l’on regarde le bilan de mortalité, on constate que ce sont également souvent ceux qui ont la mortalité la plus basse. Encore une fois, il faut regarder la mortalité toutes causes confondues sur les dix ou vingt dernières années. On s’aperçoit alors que des pays comme la Norvège n’ont même pas vu passer la crise du Covid en 2020.

En France, on ne cesse de maltraiter la démocratie et de maltraiter les populations. Et on a souvent l’impression de vivre dans ce qu’une journaliste allemande a appelé «l’Absurdistan». Une inflation incroyable de règles bureaucratiques en tous sens, modifiées en permanence, souvent ubuesques et en tous cas incompréhensibles pour le commun des mortels. On peut prendre le métro sans passe, mais pas le train. On peut baisser son masque à tel endroit mais pas à tel autre dans le même bâtiment. On peut manger assis mais pas debout dans un bar. On peut accéder à tel rayon mais pas à tel autre dans un supermarché. Et cetera.

Un véritable délire bureaucratique avec des circulaires interminables entrant dans le détail du détail. Le tout mis en joli PowerPoint et camemberts en couleur par le cabinet de conseil McKinsey qui, lui, aura particulièrement bien profité de la crise.

Que pensez-vous de la déclaration de Macron sur les non-vaccinés? S’agit-il d’une stratégie politique?

Aucune idée. Je ne me pose pas ces questions politiques, qui ne m’intéressent guère en réalité. Je me contente de juger d’un point de vue intellectuel et moral. Quand Monsieur Macron a pour unique politique de vouloir «vacciner» la totalité de la population et qu’il cherche à «emmerder les non-vaccinés» le plus possible, je ne me demande pas s’il y a une stratégie politique. Je constate simplement que, sur le plan scientifique, ça n’a pas de sens, et que sur le plan moral, c’est inacceptable.


La Doxa du Covid: peur, santé, corruption et démocratie, éd. Eoliennes, 2022.

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