Amèle Debey

13 nov. 20205 Min

Le «hold-up» de la liberté d’expression est en marche

Mis à jour : mars 29

Le documentaire Hold-Up, diffusé mercredi dernier sur Vimeo, a eu pour réaction de déclencher les positions qu’il dénonce: conformisme absolu, soumission aveugle, intolérance face aux opinions divergentes, biais médiatique, censure par les tribunaux du Web et assassinat de la liberté d’expression dans les grandes largeurs. Les détracteurs de Hold-Up se rendent-ils compte des conséquences délétères et contre-productives de leur acharnement aveugle sur l’opinion, alimenté par la bienpensance et la pensée unique? Il semblerait que la raison ne soit pas près de rejoindre le débat, puisque débat il n’y a pas.

© DR

«L’effet Streisand est un phénomène médiatique au cours duquel la volonté d’empêcher la divulgation d’informations que l'on aimerait garder cachées — qu'il s'agisse de simples rumeurs ou de faits véridiques — déclenche le résultat inverse. Par ses efforts, la victime de l'effet Streisand encourage malgré elle l'exposition d'une publication qu'elle souhaitait voir ignorée».

A la base, j’avais prévu un froid compte rendu du film Hold-Up, dont il y aurait effectivement beaucoup à dire tant il n’est pas dénué de problèmes. Exercice rendu inutile, puisque des journalistes aguerris au milieu scientifique se sont précipités pour faire ce travail de vérification. Des «débunkages» et des alertes à la fake news fleurissent sur internet. Les Décodeurs du Monde se sont fendus d’un article et d’un live chat pour répondre aux questions des internautes. Les moyens mis en place pour démonter le docu de Pierre Barnérias et rétablir certaines vérités ne manquent pas. On peut d’ailleurs saluer l’effort, tout en regrettant la manière et la proportion, puisque ces réactions légitimes et utiles se sont muées en censure.

Suppressions en série

Vimeo, la plateforme qui hébergeait la version payante du documentaire, l’a supprimé sans sommation. Les créateurs sont parvenus à récolter assez d’argent pour couvrir leurs frais et le diffuser gratuitement sur d’autres plateformes, comme Odysée, mais nul ne sait jusqu’à quand. La cagnotte hébergée sur Tipeee (dont l’un des investisseurs est Xavier Niel) a été suspendue. Du côté de Ulule, plateforme de crowdfunding qui a servi en partie à recueillir les dons pour réaliser Hold-Up, on n’assume pas. Son PDG s’est désolidarisé de son contenu dans un long message posté sur Twitter. Tout comme Philippe Douste-Blazy, médecin et homme politique français, qui intervient dans le long-métrage et qui a demandé à en être retiré.

Contacté par téléphone, Pierre Barnérias affirme tomber des nues: «J’ai envoyé le film cinq jours avant à tous les intervenants. Phillippe Douste-Blazy pouvait me dire non. Il a accepté de venir, il a vu le titre, il a vu le sujet, on en a parlé ensemble, je lui ai indiqué l’identité des autres témoins. Pourquoi faire marche arrière maintenant?», s’interroge l’ancien journaliste, qui ne comprend pas la censure dont son film fait l’objet.

L’acharnement de certains internautes, dont des politiciens macronistes, pour imposer leur vision à la cantonade a, une fois de plus, pris le débat en otage. Exit les interrogations légitimes et les remises en question, les incohérences, les «mensonges d’Etat» et les nombreuses erreurs – volontaires ou pas – qui resteront dans l’histoire. Avec, en toile de fond, la question à trois milliards: jusqu’où ira-t-on dans la négation des libertés individuelles? Tout cela est relégué au second plan.

«On nous accuse d'homicide involontaire»

Hold-Up est affublé du sceau si commode du complotisme, critique arbitraire balancée à toutes les sauces. Puisque s’interroger sur la dangerosité des vaccins serait du même ordre de pensées que d’affirmer que la Terre est plate. Encore une fois, pas de place à la nuance dans la perception des choses et le traitement de Hold-Up en fait la démonstration. Il s’agit maintenant de démolir tant le messager que le message, en brandissant l’argument stupéfiant de la mise en danger de la vie d’autrui. «Nous sommes en discussion avec notre service juridique. Si le film convainc les gens de ne pas se faire vacciner, cela ferait de nous des responsables d’homicides involontaires, selon un médecin. Comment peut-on laisser dire une chose pareille? Cela nous paraît grave», explique Pierre Barnérias, qui compte porter plainte pour diffamation.

Parmi les détracteurs, Ilana Cicurel. Déléguée La République en marche qui se dit «spécialisée en liberté d’expression». Elle a livré un spectacle stupéfiant sur CNews, en critiquant pendant cinq minutes la médiatisation – dont elle participe de fait – d’une «bombe complotiste» d’une «très grande dangerosité»:

Et puisque nous sommes dans la recherche des faits, quelques clics suffisent pour s’apercevoir que la dame n’est autre que la sœur de Michel Cicurel, créateur de la holding d'investissement La Maison, où on retrouve Xavier Niel, homme d’affaires co-propriétaire du Monde et membre du Conseil national du numérique. Ces liens d’intérêt existent et méritent d’être annoncés.

Bienvenue dans la quatrième dimension

En Suisse aussi, on assiste à des retournements de veste proches de la schizophrénie. Lorsque Stéphane Babey, rédacteur en chef de Vigousse, journal satirique romand, chantre de la liberté d’expression, qui fait usage de son droit à écrire ce qu’il veut en toute décontraction depuis dix ans, déclare publiquement sur Facebook: «Ce documentaire est un ramassis de débilités assénées par des charlatans qui cherchent à vendre leur soupe. Ce genre de mensonges sont censurés car ils sont dangereux, tout simplement. Il ne s’agit pas de liberté d’expression, mais d’escroquerie et de mise en danger de la vie d’autrui.»

Apparemment, la liberté d’expression est à deux vitesses chez Vigousse, qui semble lui aussi avoir basculé dans le dogmatisme, en faisant de la chasse au bullshit son nouveau cheval de bataille et en bafouant allégrement les principes démocratiques dont il jouit depuis sa création.

Pierre Barnérias a-t-il voulu provoquer en faisant la démonstration (pour le coup réussie) de la partialité du débat? Il s’en défend: «Je dois être naïf, mais je ne m’attendais pas à une telle censure. A partir du moment où vous avez des informations sourcées, destinées à ouvrir le débat, je m’étonne qu’on le referme encore plus».

La pensée dominante ne souffre d’aucune remise en question depuis le début de cette crise. Au nom du sacro-saint principe de précaution qui transforme tout sceptique en meurtrier, et tout débat (Infrarouge en fait la triste démonstration lorsque l’émission aborde le sujet du Covid) en discussion unilatérale entre intervenants du même avis.

Censure contre-productive

Hold-Up est-il complotiste? Pour autant que ce terme ait encore un sens, certainement puisqu'il dénonce un complot. Encore faudrait-il savoir ce que l’on englobe dans cette appellation. Mais le complotisme n’est pas puni par la loi. Seul le complot au sein de l'armée est prévu par le code pénal (art. 276 CP). Le complotisme en soi ne constitue pas une infraction. En revanche, la façon dont il est relayé et/ou son contenu peuvent constituer des infractions: diffamation, calomnie, discrimination et incitation à la haine, par exemple. Les tribunaux ne sauraient cependant être substitués par ceux du Web.

Est-ce une raison pour admettre la censure? Pas si on défend des valeurs démocratiques telles que la liberté d’expression. Et celle-ci ne peut pas être à géométrie variable. Au lieu d’essayer de l’étouffer, il serait bon de s’interroger sur les causes de cette désormais fameuse «mouvance complotiste»: si les gouvernements français et suisses, pour ne citer qu’eux, étaient ouverts au débat et incluaient la population dans leurs prises de décisions liberticides autour de cette pandémie, peut-être ces mouvements ne rencontreraient-ils pas le même succès.

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