Elodie Hervé

8 févr. 20214 Min

La précarité menstruelle s'ajoute aux difficultés des étudiantes

Mis à jour : mars 29

Avec l’arrêt d’une partie de l’économie française, certain-es étudiant-es se retrouvent en grande précarité financière. Ce qui les pousse à arrêter d’acheter des protections hygiéniques.

© Pixabay

«Quand j’ai mes règles, je laisse le sang couler», raconte Amanda*. Depuis le début de la crise

sanitaire, les étudiant-es ont perdu une grande partie de leurs ressources financières à cause de l’arrêt des jobs saisonniers. «Quand tu as du mal à manger, à payer ton loyer ou ton téléphone, c’est juste impossible de payer 10 euros chaque mois pour des protections hygiéniques», continue Amanda*. D’une voix hachée, elle raconte les avantages des cours en visio pour son cycle. «Maintenant que j’ai tous les cours à la maison, je laisse couler mon sang. Ça me coûte moins cher.»

En 2017, l’association étudiante l’UNEF avait estimé à 20% les étudiant-es qui vivent sous le seuil de pauvreté. Trois ans plus tard, la fédération des associations étudiantes, La Fage, explique, elle, que 74% des étudiant-es ont rencontré des difficultés financières ces derniers temps.

«Les effets sur mon corps sont là mais, pour l’heure, je n’ai pas d’autre solution»

«Moi, j’ai de la chance, ajoute Rose*, je suis bénéficiaire de la CMU donc ma pilule est entièrement remboursée. Depuis août, je la prends en continu comme ça je n’ai plus de règles et plus de frais.» La Complémentaire santé solidaire (CMU) est un dispositif à l’attention des personnes aux faibles revenus, qui prend en charge la majorité des dépenses de santé. Cela permet aux bénéficiaires de ne pas payer le reste à charge.

Côté pilules, une partie d’entre elles est remboursée à hauteur de 65% pour toutes les personnes ayant accès à la Sécurité sociale française. Par exemple, pour une pilule progestative de 2e génération, le reste à charge est d’environ 5 euros pour trois mois. Pour les bénéficiaires de la CMU, le reste à charge est souvent inférieur à un euro. Pour Rose, le calcul a été vite fait. Cela lui permet d’éviter une dépense d’une dizaine d’euros par mois. «Les effets sur mon corps sont là, continue cette étudiante, mais, pour l’heure, je n’ai pas d’autre solution.» Parmi les effets secondaires listés, les pilules peuvent provoquer de l’acné, des sécheresses vaginales ou plus rare, des embolies pulmonaires.

Des chiffres inquiétants

En France, l’association Règles Élémentaires estime qu’il y aurait deux millions de personnes

en précarité menstruelle. Soit 300'000 de plus qu’il y a un an. Pour chiffrer le nombre d’étudiant-es concerné-es, La Fage sort une enquête le 8 février sur l’enjeu économique

des règles. Plus de 6000 personnes ont été interrogées pour comprendre l’ampleur du

phénomène. Et 13% d’entre elles estiment avoir dû choisir entre des protections hygiéniques

et un autre objet de première nécessité. 

D’autres choisissent de fabriquer leurs propres protections, avec des serviettes en microfibre,

des morceaux de parapluies et une vieille culotte. «Ce n’est pas très beau mais ça fait le job»,

souligne Ségolène. Selon l’enquête de La Fage, un-e étudiant-e menstrué-e sur dix fabrique

ses protections pour des raisons financières.

4 millions d’euros d’aides

Pour faire face à cette précarité menstruelle, de nombreuses associations mettent en place des collectes, des distributions ou des ateliers pour apprendre à fabriquer ces propres culottes de règles. «En moyenne, nous collectons quatre millions de produits par an, explique Règles élémentaires, ce qui nous permet d'aider 100'000 personnes chaque année.»

Peu à peu, le débat sur la précarité menstruelle s’impose en France. En décembre, Emmanuel

Macron s'indigne que «les femmes en grande précarité qui n’ont pas accès à des produits d’hygiène se retrouvent trop souvent sans solution lors de leurs règles.» Dix jours plus tard, le ministère de la Santé annonce une enveloppe de cinq millions d’euros pour faire face à ce problème de santé publique.

«Ce changement d’échelle sera pérennisé dans le budget des ministères sociaux pour les années à venir», ajoute le ministère dans un communiqué. Dans la foulée, la région Ile-de-France annonce que l’intégralité des lycées publics sera équipée de distributeurs gratuits dès le printemps. Côté étudiant-es, la maison des initiatives étudiantes a pris la décision de disposer des bacs de protections hygiéniques lavables dans lesquels chaque personne qui en a besoin peut venir se servir gratuitement. Des initiatives salutaires pour les étudiant-es mais qui relèvent souvent de démarches militantes. 

Et en Suisse?

En Suisse aussi, les personnes menstruées se retrouvent dans des situations de grandes précarités. Les protections périodiques ne sont gratuites que dans les écoles d’une seule commune. Celle de Tavannes, dans le canton de Berne. Là encore, ce sont des initiatives locales qui permettent d’apporter une aide. Comme à Renens, dans le canton de Vaud où, en décembre dernier, un magasin spécialisé en menstruations, Rañute, a ouvert ses portes et mis en place un système de dons pour les personnes les plus précaires.

Pour l’heure, seule l’Ecosse semble avoir fait un tout autre choix. Car depuis novembre, le pays a voté la gratuité totale des protections hygiéniques. Dès qu’une personne en aura besoin, elle pourra en l’obtenir gratuitement. Le coût de cette mesure est estimé à onze millions d’euros par an, selon le gouvernement écossais.

A cette précarité s'ajoutent aussi les frais annexes, comme les traitements anti-douleurs ou les sous-vêtements de règles. «La précarité menstruelle ne se résume pas qu'à la période de saignement, le syndrome prémenstruel (SPM) engendre aussi des coûts. C’est l’ensemble des symptômes que l’on peut voir apparaître avant les menstruations. Il se termine spontanément avec le début des règles ou dans les quelques jours qui suivent», ajoute La Fage. Et là encore, la débrouille s’organise pour trouver des antidouleurs.

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