Amèle Debey

19 juil. 202316 Min

«Le groupe est un écosystème qui a besoin de purger sa pulsion agressive»

Mis à jour : mars 29

Amandine Lafargue est psychologue, diplômée de psychologie sociale, de psychologie clinique et de psychopathologie. Spécialiste des questions d'abus et de harcèlement, en particulier dans les groupes, cette psychothérapeute et psychanalyste connait bien les mouvements anti-mesures Covid, pour avoir côtoyé ses membres et participé à certains de leurs événements. Pour L'Impertinent, elle analyse le fonctionnement du groupe et propose des hypothèses pour expliquer pourquoi et comment il peut – comme c'est le cas de beaucoup de «résistants» finir par imploser.

Amandine Lafargue est également auteure de plusieurs livres.

Amèle Debey, pour L'Impertinent: Avez-vous été témoin de processus de harcèlement à l’encontre du Dr Olivier Soulier?

Amandine Lafargue: Je vous remercie de m’inviter à m’exprimer sur les processus qui ont accompagné la disparition de notre collègue. Votre question est d’autant plus précieuse, qu’elle nous permettra d’aborder les mouvements qui traversent tous les groupes qui luttent contre les pulsions de déliaison et de mort. J’espère de toute mon âme que cet échange participera à apaiser les cœurs et prévenir des effets inhérents aux dynamiques de groupes.

J’ai été amenée à rencontrer Olivier Soulier au cours de deux colloques, en octobre 2022 et mai 2023. Lors de notre première rencontre en octobre 2022, il semblait entretenir de bonnes relations avec tous ses collègues. J’ai peu échangé avec lui. Il était pour moi l’ami et le collaborateur de plusieurs de mes collègues et amis.

C’est vers la fin de l’année 2022 que j’ai été informée tensions concernant ce médecin et de rumeurs de plus en plus difficiles à contenir au sein des collectifs.

Je n’ai pas été directement témoin de procédés de harcèlement sur sa personne, mais j’ai petit à petit été dépositaire d’un certain nombre de témoignages. La question est donc délicate car elle implique des personnes très engagées, que nous respectons tous et dont nous aimerions rester fiers.

Que se passe-t-il au sein du Conseil scientifique indépendant (CSI) et de Réinfo Liberté (RIL)?

Je précise que bien que je sois intervenue lors d’une émission de RIL en juin 2021, je ne faisais pas partie de cette association.

Du fait de mes relations amicales et professionnelles avec certains de ses membres, j’ai été amenée à donner mon avis personnel et professionnel sur ce qui m’était rapporté. Sur ce qui se passe quand des personnes interagissent entre elles durant plusieurs mois.

De par ma casquette de psychologue des organisations groupales, et des liens que j’entretenais avec certains membres de cette association, j’ai plusieurs fois été contactée pour donner des analyses, à ceux qui m’en faisaient la demande. C’est par ce biais que j’ai pu recevoir des messages ou être contactée par des personnes impliquées dans cette situation.

Ce que je peux en dire, c’est que ces déclarations étaient assez graves et qu’elles étaient présentées comme des vérités subjectives émotionnellement puissantes pour ceux qui les énonçaient. Des discours confusionnants, qui trahissaient la détresse d’une souffrance lovée au creux de l’affection que ces personnes se portaient auparavant.

On constate que la plupart des mouvements d’opposition aux mesures Covid, que l’on appelle «la résistance», rencontrent de graves problèmes internes. Pourquoi selon vous?

Ce que ces groupes traversent peut être résumé en deux séries de phénomènes:

Les premiers sont liés aux interactions entre les individus: la dynamique de l’humain est telle, qu’il cherche à se rassembler, il créer un groupe qui le rassure. Selon la définition que donne le psychologue Robert Delhez, en 1985, un groupe «est un ensemble de personnes physiquement réunies en un même lieu, en nombre égal ou supérieurs à quatre, ayant la possibilité de communiquer entre elles».

Les seconds, sont liés à l’histoire de l’appartenance au groupe. Psychologue sociale des organisations, je vous confirme que les groupes de plus de 8 personnes sont soumis à ces forces de division, car une personne ne peut pas entretenir des liens relationnels de qualité avec autant de partenaires.

Au cours de sa vie, le groupe va être traversé par une dynamique qui lui est propre. La spécificité de chaque groupe réside dans la liaison qu’entretiennent ces deux lignes de fuite à l’intérieur des groupes.

Quels problèmes concrets peuvent rencontrer ces groupes?

Le premier relève de la communication: selon le psychologue Jungien, Paul Watzlawick (1972), «on ne peut pas ne pas communiquer». Le groupe communique verbalement ou non-verbalement. Pour le psychanalyste Didier Anzieu et le neuropsychiatre et psychosociologue Jacques-Yves Martin, cette communication va engendrer des interactions, des structures, des réseaux de communication.

La communication a deux fonctions, celle de transmettre les informations et celle de créer ou maintenir des relations. Ce que la personne dit dans le groupe, la manière dont il le dit, ses références, etc.

Exemple: lorsqu’au cours d’une émission publique, l’un des experts s’exprime plus légèrement que les autres et que ses collègues estiment qu’elle n’a pas dit des choses suffisamment sourcées pour le niveau d’analyse qui est attendu du public, Cela aura un impact sur la relation qu’il entretiendra avec les autres membres. C’est ce qu’on appelle l’influence de la communication d’une personne. Cette influence va colorer les relations qu’il entretient et va jouer sur l’évolution de celles-ci.


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Le second relève des affinités: les psychologues Anzieu, Martin et Maisonneuve, ont étudié comment la cohésion des groupe protège de l’angoisse. Comment l’attraction, la sympathie et la satisfaction affective, due à perceptions de valeurs communes, intérêts et proximité… favorisent les relations dyadiques, les sous-groupes et alliances informelles.

Ces affinités se caractérisent par une certaine stabilité entre partenaires privilégiés au sein d’un groupe; «ceux en qui nous croyons» et avec qui nous partageons nos idées. Elles sont essentielles, car ce sont ces alliances qui nous permettent parfois d’échapper à la situation groupale.

C’est la structure informelle des groupes, dont parle Jean Levy Moreno en 1934, dans son ouvrage: «Who Shall Surivive?». Ce médecin américain d’origine roumaine est l’initiateur de la psychothérapie de groupe (1932), mais également, l’inventeur de la sociométrie et des fameux tests sociométriques (carte des réseaux des relations informelles, par opposition aux relations formelles, fournies par l’organigramme).

Le troisième est donc, l’influence: La communication engendre des circulations de significations entre les personnes. Ces significations nous parlent.

Je prends l’exemple du Syndicat Liberté Santé. Au sein de ce groupe, aujourd’hui encore, lorsqu’une personne suggère à une autre qu’elle pourrait faire différemment ou mieux, l’animateur de la réunion, lui rappelle aimablement la devise du groupe: «c’est celui qui dit qui fait».

Cette maxime rappelle que la remarque même la plus bienveillante, peut affecter celui qui en est destinataire d’une façon que l’on ne contrôle pas. La puissance de cette phrase permet de rappeler à chacun, de façon amicale, que chacun fait de son mieux, dans le temps qu’il a et avec les moyens dont il dispose. Pour le dire simplement, cela signifie que des influences s’exercent entre les individus qui communiquent et qu’il faut y rester vigilants.

Je vous renvoie aux travaux du psychologue québécois Bruno Fortin 1991, «dès que le groupe entreprend de communiquer, il vit une expérience de partage de l’influence, du leadership».

Pour le psychologue Robert Delhez (1990), le leadership peut-être objet de lutte entre certains membres du groupe.

L’épistémologue Alex Mucchielli (1986) définit trois types d’influences:

  • l’influence informative: celui qui apporte l’information, les éléments de contenus.

  • l’influence normative: celui qui rappelle les normes du groupe, ce qu’on doit faire et comment,

  • et l’influence évaluative: celui qui approuve ou non, qui juge.

L’influence et le leadership sont intimement liés à la dynamique du pouvoir.

Le pouvoir dans un groupe étant l’influence potentielle maximale qu’on est susceptible d’avoir sur un autre. Le pouvoir s’inscrit dans la relation. C’est-à-dire, que la volonté des autres à accepter le pouvoir de quelqu’un est déterminante. Elle peut réveiller alors les stratégies des autres leaderships. Rappelons que le pouvoir n’est jamais acquis définitivement et qu’il est coûteux à conserver.

Les rôles: les membres du groupe vont progressivement se différencier en fonction de la place qu’ils occupent dans le groupe. Selon Jean Maisonneuve (1980), le rôle est l’ensemble des conduites requises, attendues ou jouées par un sujet en fonction de sa position dans le système. Le rôle dépend donc du statut, de la position officielle ou sociale de la personne: président, secrétaire, fondateur, etc…

L’acquisition des rôles résulte d’un processus interactif entre les membres du groupe. Les gens acquièrent des rôles qu’ils prennent, mais également, parfois parce qu’on leur donne.

De ces rôles découlent des attentes. Lorsque quelqu’un occupe une position, prend une certaine place, les autres attendent qu’il se comporte d’une certaine façon.

Quelles sont les distinctions de rôles qui sont fondées sur des normes groupales?

Un groupe d’individu peut parfois encourager chacun de ses membres à rester aveugle. Si l’un d’eux perçoit quelque chose, il n’osera pas en parler, faute de savoir à qui le faire et par crainte d’être jugé. C’est la pression sociale. Elle muselle les témoins et soude le groupe dans un silence complice.

Les groupes ont besoin d’homogénéité pour tenir. Le problème des groupes dont nous parlons, est qu’ils sont constitués de personnes qui revendiquent leur originalité et leur pensée propre. Les normes des groupes sont alors mises à mal et les lignes directrices se dessinent. Le défi des groupes est de résister à cette force de division en réglant ses conflits internes, de tenir contre la tentation du clivage et l’effet de bouc-émissaire.

Les conflits partent d’un niveau où les membres du groupe se traitent d’égal à égal, mais nous avons vu que les effets d’influence et les rôles donnent des pouvoirs informels différents de ceux annoncés officiellement. Ces avantages informels changent la donne et peuvent donner un pouvoir informel à un membre ou un groupe de personnes qui pourra en abuser.

L’abus de pouvoir répété pose de nouvelles normes, informelles, c’est le principe du harcèlement.

Comme le rappelle ma collègue Ariane Bilheran, son étymologie l’indique, il «égalise à l’aide d’une herse», en d’autres termes, il coupe les têtes qui dépassent. Le Dr Bilheran est spécialiste du harcèlement, elle est l’auteure de nombreux ouvrages sur ce thème et a réalisé de nombreuses enquêtes et d’audits sur ce sujet.


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Elle décrit le harcèlement comme une méthode appliquée consciemment sur une certaine durée et qui cible un individu en particulier, pour le conduire à l’autodestruction. Ce mode de relation est celui des profils paranoïaques et parfois celui des pervers, souvent les complices actifs de leaders paranoïaques.

Entre alors en scène le rôle du «bouc-émissaire», qui permet au groupe d’expulser symboliquement toutes ses fautes, afin d’en détourner la malédiction. C’est celui qui est désigné par le groupe, pour catalyser les insatisfactions et les tendances agressives des autres. Paradoxalement, il incarne une fonction protectrice vis-à-vis de l’ensemble du groupe. Pourquoi? Parce qu’il permet d’incarner toutes les tensions du groupe et évite aux membres d’aborder les conflits qui les traversent.

Quand la distinction d’un membre se fait par son positionnement personnel dans sa relation aux autres, on parle plutôt de stigmatisation. Il faut penser le groupe comme un écosystème qui a besoin de purger sa pulsion agressive. Chaque groupe le faisant avec plus ou moins d’élégance.

Ceci d’autant que le groupe tente de combattre des pathologies dont le fonctionnement «contamine». Je vous renvoie pour cela à notre ouvrage: Psychopathologie de la pédophilie (2017, réédité en 2021). Dans le chapitre Pathologie des institutions, nous décrivons les différentes attitudes maltraitantes et procédés maltraitants que les intervenants adoptent malgré eux en résonnance des affaires qu’ils traitent.

Quels en sont les facteurs?

La nature de la tâche, son attrait pour chaque membre du groupe (hypothèse que les mouvements résistants s’essoufflent lorsque le problème qui a participé de leur création est résolu: fin de la dite pandémie, perspective de la mal nommée «réintégration des soignant»)

Et donc la motivation, ainsi que d’autre paramètres, comme:

  • Le confort spatio-temporel, la qualité matérielle des communications: les réunions zoom vont plus vite s’essouffler, etc.

  • Le renforcement: quand on rencontre de la gratitude, par exemple dans les commentaires de vidéos, au cours des colloques,…

  • L’équité: c’est la balance subjective que chacun établit inconsciemment entre ce qu’il apporte au groupe et ce qu’il en retire. Chaque membre fait également une comparaison entre son investissement et celui des autres. Cela ne signifie pas qu’il peut rationnaliser ce constat.

  • L’instrumentalisation: anticipation subjective que l’effort soit suivi d’une récompense.

  • La valence: valeur subjective de la récompense en fonction du désir qu’on a de l’obtenir.

Conclusion, les groupes qui souhaitent répondre aux attentes de la pulsion de vie, de rassemblement et de travail, doivent prendre soin de leurs sas de décontamination et de leurs espaces contenants, leurs enveloppes psychiques. La sortie d’une situation de tension groupale ne peut donc se faire que par la verticalisation des positions. C’est-à-dire, une prise en compte des dégâts subis par l’autre, une reconnaissance du tort occasionné, des excuses et la réhabilitation de la personne et une marge de réparation du tort par l’élaboration d’un positionnement supérieur à nos personnes. La remise au travail de chacun derrière sa mission première et avec la vigilance de celui qui cherche à équilibrer chacune de ces relations.

Cette attention apportée à soigner la probabilité de réalisation de ce qui se fait ou se dit au sein d’un groupe se nomme: «la conversion idéo-motrice» (Lebel).

En quoi ces mouvements ont-ils fini par incarner ce qu’ils dénoncent?

Alors oui, c’est bien l’analyse qu’on peut faire du mouvement qui traverse tous les groupes mobilisés contre un effondrement. Les groupes agissent comme s’ils perdaient de vue ce pourquoi ils avaient été conçus.

Cette question me touche d’autant plus que je me passionne pour ce phénomène depuis que j’ai côtoyé les groupes familiaux, scolaires, religieux, institutionnels...

On s’est tous demandé pourquoi certains tuaient au nom des religions, pourquoi des parents en venaient à frapper leur enfant, etc. Pourquoi tout groupe censé se battre pour contenir une catastrophe se met à produire très exactement le mal contre lequel il lutte?

Je vais développer ici une analyse des défenses paradoxales conscientes et inconscientes, qui sont mobilisés par les groupes dits «résistants», pour contenir une catastrophe groupale; ici: l’annonce d’être «en guerre», du 16 mars 2020.

Un tel terme utilisé plusieurs fois dans un discours porté par la figure symbolique du Père de la Nation, accompagné de son injonction «restez chez vous», enjoint au cerveau d’avoir peur et au corps de ne pas bouger. Cette injonction paradoxale a pour effet de plonger tout psychisme dans la sidération, le déni, la fuite, la décompensation ou le clivage. C’est l’effet de la force de la division psychotique.

Cela réveille nos angoisses d’enfants, nos agonies psychiques primitives. Face à deux items incompatibles (paradoxe): se maintenir en vie, alors qu’on réalise qu’on est dépendant, cela est terriblement angoissant, car cela nous renvoie à nos fragilités infantiles. Cela est d’autant plus vrai pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir des parents suffisamment contenants psychiquement et qui n’ont pas pu éprouver la solidité d’une sécurité affective de qualité.

Mon hypothèse est que les groupes confrontés à de telles situations se trouvent dans la situation d’affronter des mécanismes de déliaison, qui amènent le collectif à adopter un mode de fonctionnement collectif calqué sur le fonctionnement qu’ils sont en train de traiter. C’est ce que Jean-Pierre Pinel appelle l’homologie fonctionnelle.

Je parle des institutions où j’ai travaillé: des services de psychiatrie, c’est-à-dire, travaillant avec des patients présentant de graves troubles de la symbolisation, qui n’arrivent plus à communiquer ensemble, un service de maternité où j’ai travaillé, qui réagissait sur des versants affectifs extrêmement sensibles, un service de protection de l’enfance où les chefs de service, parent symbolique, s’adonnaient à des passages à l’acte.

«La pathologie contre laquelle ces groupes luttent s’est répercutée au sein de ces mêmes groupes»

Je parle de la vie des groupes soumis à la pulsion de déliaison, que le psychanalyste Sigmund Freud qualifiait de Thanatos (pulsion de mort). C’est déjà le point de vue que je soutenais dans notre émission sur la manipulation des foules et sur l’ingénierie sociale en période de crise sanitaire.

Cette homologie est cependant nécessaire, parce que c’est par ce déplacement que les «résistants» vont s’identifier aux contenus des identifications projectives injectés par la personne qui les disqualifie, afin de les traiter.

Pour en revenir à ces groupes, dits de «résistants», ces derniers, ont dû faire un travail d’appropriation du terme «complotistes», pour commencer à se regrouper. Mais rapidement cette identification a montré ses limites, et s’est avérée néfaste car elle a sollicité une sorte d’engrènement.

La pathologie contre laquelle ces groupes luttent s’est répercutée au sein de ces mêmes groupes, sans trouver de but et a permis le délitement des liens et cadres de référence personnels, groupaux et institutionnels. Il a ouvert une porte à la possibilité de banaliser la transgression. Et il y a eu des passages à l’acte.

Paradoxalement, c’est donc cette désorganisation (paradoxale et psychotique) qui a servi d’organisateur central pour ce qui est de l’économie libidinale des groupes.

Alors bien sûr, de l’extérieur, on ne comprend pas, pourquoi ce sont les personnes qui luttent contre le clivage qui en fabriquent: il y a tellement de paramètres en jeu, qu’il s’agit surtout de ne pas juger et de parvenir à reprendre de la hauteur, afin de se recentrer sur le but commun.

Ce qui fera éviter les clivages, c’est l’empathie… éduquer à l’empathie. Refaire fonctionner les neurones miroir, rééduquer le cortex préfrontal, les émotions fines, réeduquer au délicat, à la pudeur, aux temps logiques de la compréhension et de l’intégration des choses.

Pourquoi cela arrive-t-il aujourd’hui?

Rappelons que biologiquement, aucun organisme ne peut tenir longtemps sous les effets du stress. Le stress fonctionne comme un réflexe qui fait sécréter des hormones au système nerveux et dopent naturellement l’organisme.

Le Système Nerveux Autonome déclenche la production d'hormones destinées à apporter une réponse à court terme, si le stress se prolonge, l'organisme active instantanément l'hypothalamus, (qui assure l'homéostasie, c'est-à-dire le maintien à l'équilibre). Lorsque le stress persiste encore, on parle de stress chronique. L’hippocampe perd sa capacité à freiner l'hypotalamus et le cortisol reste élevé. Ce dernier manifeste alors son pouvoir anxiogène et dépresseur sur nous. Il entraîne une dégradation de la mémoire et de nos capacités d'apprentissage. On atteint ce que les spécialistes appellent «la phase d'épuisement».

Mon hypothèse est qu’en trois ans, beaucoup de personnes ont atteint ces seuils et bien qu’ils en parlent peu, ils en ressentent les effets. Certains ont perdu leur travail, leur réputation, leur santé, leurs amis, ils ont pu voir leur famille ou leur couple se diviser, etc.

Je parle des figures connues, des professionnels de soin et assimilés et tous les professionnels qui travaillaient simplement dans des lieux où ces mesures ont été appliquées et qui ont subi les même contraintes mais n’ont pas de bannières sous lesquelles être reconnues.

Parallèlement à cet état d’épuisement personnel, les groupes traversent des étapes de vie.

Lesquelles?

Quand on y regarde de plus près, on réalise que les individus qui se sont sentis différents en 2020, ont voulu tout d’abord se rapprocher. Ce phénomène de survie est le résultat de la pulsion de vie, qui mène dans un premier temps à la reconnaissance, au rassemblement et à la volonté de créer des groupes. Les membres de ces groupes, vont dans un premier temps, s’observer, prendre leur place dans le groupe. Chacun est mu par ses besoins individuels.

Dans un second temps, on ébauche le collectif. On tente de s’assembler, c’est le moment de l’émergence des rôles, des affinités, des normes. Les différences apparaissent mais le groupe parvient à s’uniformiser.

Vient ensuite l’étape de la collaboration, faire ensemble. Les positions vont s’affirmer, c’est l’euphorie groupale, mais aussi l’heure des confrontations et tensions secondaires. Elles viennent après les équilibres fragiles et un peu irréels des compromis, sans nul doute défensifs liés à l’étape précédente.

Enfin vient le temps de la stabilité, de la collaboration, de la cohérence groupale. Le groupe élabore des stratégies de résolutions communes qui permettent de consolider les règles, les rôles et la mise en place des mécanismes permettant le maintien de l’organisation de travail au-delà de l’expression des désaccords.

Dès lors, il nous faut être attentif à maintenir une hygiène psychique personnelle.

Une conscience de notre propre responsabilité éthique. Je parle d’hygiène relationnelle, parce qu’il s’agit de prendre soin de ses relations, avant qu’il y ait un problème; en prévention, comme on se brosse les dents, avant l’apparition des caries. Chaque groupe doit prendre soin de respecter sa position symbolique, verticalisée. Celle qui s’acquiert par l’éducation, par la domestication et le refoulement de nos pulsions agressives. La position symbolique, permet d’accepter la différence, la séparation et l’altérité et la séparation.

Sans cela, nous sommes prêts à nous faire attraper par les phénomènes naturels de clivage.

Le risque est que le groupe hypothèque sa mission du départ en plus de l’équilibre psycho-affectifs de chacun de ses membres.

Maintenant que vous connaissez ces procédés, vous savez que tous les groupes sont soumis à ces cycles de vie. Cela n’a rien à voir avec l’intelligence, les clivages internes sont un phénomène naturel d’homologie des groupes.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus d’espoir pour la résistance?

Depuis trois ans, nous baignons dans une atmosphère étrange et inquiétante qui nous amène à nous observer et prendre sur nous.

Je reçois les témoignages de beaucoup de collègues et collaborateurs qui se retrouvent dans une situation complexe. Ils font du mieux qu’ils peuvent pour épargner leurs collègues, sans pouvoir parler de tout, sous peine d’être ostracisé. Les garants de la bonne entente ne sont pas suffisamment écoutés, parce que tout simplement on ne sait pas faire et que c’est difficile d’écouter quand on a des angoisses à gérer.

Ecouter, c’est prendre le risque d’être touché, de rencontrer l’angoisse d’un autre. C’est prendre le risque de réaliser soi-même qu’on se sent vulnérable.

Anne Dufourmantelle dit: «La question de l’amour est celle de l’hospitalité inconditionnelle». L’amour, nous vient de l’attachement maternel, chacun d’entre nous a droit à l’amour, à notre hospitalité inconditionnelle. Cependant, il est difficile de savoir comment s’y prendre.

Le mot «espoir» vient du verbe «espérer», issu du latin «sperare» qui signifie «considérer quelque chose comme devant se réaliser». L’espoir de cette «résistance», c’est une position symbolique, verticale une éthique personnelle, une responsabilité personnelle à tenir avant tout. C’est un positionnement à cultiver, dans la patience de notre jardin personnel.

Certains sont tombés dedans quand ils étaient petits, ils y sont radicalement attachés.

Certains la découvrent au creux même de leur intégrité personnelle, ils se sont retrouvés qualifiés de résistants. Cette fameuse «résistance», chacun la place où il veut: dans son discours, ses relations, ses aspirations.

Certains la revendiquent, la brandissent, d’autres, la cultivent patiemment, d’autre encore la développent au contact de figures qui les inspirent et certains même y prennent goût, tranquillement. Ce qui est sûr, c’est que la résistance c’est un symbole et comme tout symbole, il a ses figures emblématiques.

Et pour vous conter une petite anecdote, je vais vous donner le nom d’une célèbre herbacée qui dans une grande discrétion et la plus grande des ténacités, résiste depuis toujours aux herbicides. Cette plante: l’Amarante, du grec «qui ne flétrit pas», ou immortelle, selon les Aztèques, les Mayas et les Incas aurait des propriétés anti-irritatives, elle permettrait le dépassement de soi, la transformation et elle aiderait à accomplir le deuil.

Elle porte un nom qui rappelle qu’on peut résister tout en gardant l’audace de se divertir.

Et c’est aussi la leçon que nous rappelle la perte de notre collègue.

Comment sortir de ce marasme?

Globalement, résistants ou non, informés ou pas, nous avons tous été suffisamment impactés dans notre quotidien, pour comprendre que ce qui se passe est grave. Nos repères ont été embrouillés, certains sont véritablement bouleversés.

Alors, comme Guido, dans La vie est belle, nous faisons de notre mieux pour préserver nos liens relationnels. Il s’agit d’être inventif pour prendre soin de la pulsion de vie, accueillir nos joies, nos espoirs, mais aussi leurs doutes et leurs colères. C’est un exercice nécessaire à notre équilibre psychique et au bon développement de nos relations.

Je parle de prendre modèle sur les personnes qui ont survécu à des situations similaires ou des conditions de survie extrêmement dégradées. Je parle de prendre connaissance des témoignages des situations de survie extraordinaires. Tous nous enseignent à maintenir sa souveraineté intérieure au quotidien.

Je parle de continuer à nous tenir informés de l’évolution de la réalité extérieure, le fameux principe de réalité, tout en conservant intactes, nos capacités relationnelles. De conserver «l’amour nécessaire à l’affirmation de la vie» si je dois paraphraser la philosophe, Simone de Beauvoir.

En psychologie, on parlera de retrouver notre capacité à filtrer le nombre de stimuli et leur intensité, de trouver des narrations qui préservent notre monde et maintenir un environnement propice à une vie psychoaffective de qualité.

Ce discours vrai nous guidera, lorsqu’à l’extérieur nous entendrons des avis différents, emprunts de certitudes ou de peurs.

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