Amèle Debey

8 nov. 20216 Min

Dans quel état est la Suède?

Mis à jour : mars 29

Grâce à l’implication de ses lecteurs, L’Impertinent a pu mettre le cap au nord, afin d’aller voir comment le pays scandinave se remet de la pandémie de Covid qui a affecté le monde entier. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un état des lieux s’impose. Voici le premier volet de notre reportage en Suède.

© A.D

Difficile de trouver une meilleure destination pour un premier vol post-Covid: pas de vérification du pass sanitaire au départ de Zurich. Ni même du passeport. Une première! Seule la carte d'embarquement a été scannée «pour le traçage». Atterrissage à Arlanda, où la dissuasive température d'à peine 3 degrés n'est pas parvenue à refroidir mon enthousiasme d'arriver dans un pays où le port du masque est accueilli avec des regards circonspects. Et ce, dès l'aéroport.

Stockholm la rigide. Un archipel constitué de 24’000 îles dont l’aspect pittoresque et la nature luxuriante colorent les étés. En automne, saison où ce reportage a été réalisé, c’est une toute autre histoire. L’ambiance y est morne et la froideur des avenues où s’engouffrent les bourrasques n’a d’égale que celle de ses habitants. Ce qui frappe le plus, c’est le contraste entre l’apparence de la ville et sa modernité. L’habit ne fait pas le moine est une expression qui sied parfaitement à Stockholm. Une main futuriste dans un gant historique.


A suivre: A Stockholm, la pandémie a accéléré la digitalisation de la société


La ville est un des fleurons mondiaux de la technologie, mais la mode a du mal à suivre. Les jeunes semblent tout droit sortis de pochettes d’album de rap des années 90. C’était également le cas de Nils Kurt Erik Einar Grönberg, alias Einar, abattu devant un immeuble résidentiel d’une banlieue calme du sud de Stockholm, dans la nuit du 21 au 22 octobre 2021. Le rappeur était âgé de 19 ans, il était d'origine suédoise et avait rencontré le succès en 2019, grâce aux vidéos de ses prestations. La même année, il devenait le rappeur le plus écouté du pays sur Spotify, faisant l'apologie d'un style de vie en marge de la légalité. Sa mort est devenue l’emblème d’un problème de crime organisé qui se développe depuis plusieurs années dans la capitale.


 
Car, malgré sa réputation et la reconnaissance internationale de sa qualité de vie sans commune mesure, la Suède est le seul pays d’Europe où les violences par armes à feu sont en augmentation. En 2020, les fusillades ont bondi de 79% dans la capitale. Au cours de l’année écoulée, il y en a eu environ une par jour dans l’ensemble du pays.


 
«Nous avons comparé les pays d’Europe du Nord, de l'Ouest, de l'Europe centrale, les pays baltes, les Balkans, l'Europe du Sud et l'augmentation en Suède est tout à fait claire. Elle ne peut être observée nulle part ailleurs en Europe», a déclaré l’auteure d’une étude menée par le Conseil suédois pour la prévention du crime.


 
Une ville en pleine ébullition


 
Kati a un peu plus de 50 ans. Elle connaissait le jeune Einar de nom, mais elle n’écoutait pas sa musique. Comme tout le monde dans le quartier, elle sait précisément où le meurtre a eu lieu. Il faut dire que ce genre de drame est plutôt inhabituel dans ce coin de la capitale. «On a eu de nombreuses fusillades cette année, qui ont pratiquement toujours un rapport avec la guerre des gangs, mais cela arrive plutôt dans les banlieues du nord-ouest», selon Kati. «Je suis surtout triste pour ses parents, souffle-t-elle. Il n’avait que 19 ans. Mais bon, apparemment il était mêlé à des activités criminelles».
 

 
«Les gens sont très touchés parce que la victime était très jeune, célèbre et parce que ce genre de choses n’arrive jamais dans cette partie de la ville», me confie Victor Malmcrona, le journaliste d’un média local venu sur place pour récolter des impressions. Il n’a pas de mal à en trouver. Plus d’une semaine après le meurtre, la petite cour de la chapelle en face du lieu du crime est recouverte de fleurs et de bougies. Autour du sanctuaire à ciel ouvert, de nombreuses adolescentes se dissimulent le visage dans les mains. En ce mercredi après-midi grisâtre, leurs larmes sont rapidement balayées par la pluie.

Le corps a été retrouvé devant cet immeuble d'Hammarby Sjöstad © A.D
 

Mais, selon le jeune journaliste, ces fusillades n’ont pas grand-chose, sinon rien, à voir avec le Covid. Elles trouvent leur source dans des causes multifactorielles. Dont, si on en croit plusieurs observateurs, l’immigration. En effet, la Suède est le pays nordique qui a le plus ouvert ses frontières. Comparativement aux autres nations européennes, c’est celle qui a accueilli le plus de personnes par habitant pendant la crise des migrants, avec plus de 160’000 individus à la fin de l'année 2015.


 
Pourrait-on trouver dans cette diversité une explication au décalage, en termes de nombre de victimes du Covid, avec la Norvège et la Finlande? Des études affirment en effet que les immigrés y seraient plus vulnérables... La question reste ouverte.

«On n’a pas encore idée des retombées du profond traumatisme que ces enfants portent en eux»


 
Nicole dirige une école internationale qui accueille des enfants de 6 à 14 ans, quelque part à Stockholm. Arrivée il y a dix ans, cette Canadienne d’origine témoigne d’un pays bien différent de celui qui l’a accueillie. «Mais peut-être, tempère-t-elle, que ces drames avaient lieu avant mais qu’on en parlait moins. Aujourd’hui ils font la une de l’actualité.» La jeune directrice d'école reconnaît néanmoins que la pandémie n'a pas aidé à améliorer le désœuvrement des jeunes qui font des choix de vie contestables et se retrouvent mêlés à des activités illicites.


 
Lorsqu’on lui demande comment vont les enfants suédois, Nicole explique: «Les élèves qui sont arrivés l’année dernière et celle d’avant vont plutôt bien. Nos écoles n’ont jamais fermé. Il n’y a pas eu d’interruption de l’apprentissage. Cependant, les nouveaux élèves qui ont commencé l’année scolaire en août dernier et qui viennent de pays qui ont imposé des restrictions strictes ont du mal à se rappeler comment sociabiliser dans un environnement fréquenté. La dernière fois qu’un enfant de dix ans a suivi une année normale d’école, il en avait sept. Ils ont l’air perdu. Académiquement, ils sont à un niveau bien en dessous de celui que l’on pourrait attendre à leur âge. Il y a de nombreuses lacunes.»

Et d'ajouter: «Je pense que c’est parce qu’au début de la pandémie, personne ne savait anticiper le genre de choc que cela pourrait représenter pour les enfants. Comme pour les adultes d’ailleurs. Je peux imaginer que l’on n’a pas encore idée des retombées du profond traumatisme que ces enfants portent en eux.»


 
Si les écoles suédoises n’ont jamais été fermées, les parents étaient terrifiés au début de la crise et beaucoup ont préféré garder leurs enfants à la maison. Nicole estime que seuls 10 à 20% des élèves étaient présents en classe dès mars 2020 et dans les mois qui ont suivi. «Lorsqu’ils sont revenus, on a constaté leur désir ardent d’être en contact avec des gens de leur âge», raconte la jeune femme.


 
De l’histoire ancienne
 

De nombreuses devantures de magasins sont à l’abandon. La plupart des restaurants n’assurent plus qu’un seul service, faute de personnel. Au début de la pandémie, lorsque les Suédois se sont barricadés chez eux, comme le reste du monde, la plupart des établissements ont dû laisser partir leurs employés. Ils ont désormais du mal à les récupérer. «Il y en a beaucoup qui ont décidé de retourner faire des études, m’explique le serveur du Relais de la gare, en face de Central Station. C’est bien pour eux, moins bien pour nous. Mais les choses sont en train de s’arranger.»

«En temps normal, mon patron reçoit environ 400 dossiers de candidature pour travailler à l'hôtel, explique Sebastian, le réceptionniste du Scandic Grand Central. Cette année, il en a reçu douze».


 
Ces petits contretemps sont les seuls stigmates visibles de la crise sanitaire. Même la récente démission en catastrophe du Premier ministre suédois, Stefan Lövfen, n'a rien à voir avec la gestion de la crise. La plupart des gens que j’ai interrogés – un groupe de businessmen heureux de se retrouver au restaurant après des mois de séparation, Kati et même un rendez-vous Tinder, entre autres (autant joindre l’utile à l’agréable) – semblaient vouloir éviter le sujet. Un peu comme si le Covid n’était plus qu’un lointain souvenir. De quoi se réjouir, pour eux. De quoi aussi s’interroger profondément sur les conséquences de notre stratégie, pour nous.


A suivre: Comment la Suède est parvenue à oublier le Covid

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