Amèle Debey

3 févr. 20219 Min

Avons-nous basculé dans une dictature sanitaire?

Mis à jour : mars 29

Partout dans le monde, des mouvements citoyens se forment pour dénoncer un traitement antidémocratique de la crise Covid-19. En Europe, des décisions liberticides ont été prises sans concertation avec les divers partis d’opposition et encore moins avec le peuple. En Suisse, où l’état d’urgence a permis au Conseil fédéral de s’octroyer tous les pouvoirs, les mouvements de contestation sont à l’image de la politique: organisés, structurés et bénéficiant d’une portée populaire importante, qui peut s’avérer déterminante. Contre quoi se battent ces conglomérats citoyens? Avons-nous réellement sombré dans le totalitarisme?

© Pixabay

En 1979, peu après une épidémie de grippe porcine, Jacques Attali évoquait, sur un plateau de télé, «l’aliénation volontaire à une norme imposée de l’extérieur». «On fera, ce qui est la forme absolue de la dictature, disait-il, que chacun de nous ait ‘librement’ envie d’être conforme à la norme. Que chacun d’entre nous ait ‘librement’ envie de se comporter comme un esclave. C’est à travers la médecine, à travers le bien et le mal, à travers le rapport à la mort que cette nouvelle forme de société totalitaire est en train de s’installer.»

Aujourd’hui, on constate que l’oracle Attali avait vu juste. Au travers de ses incursions dans notre vie privée, ses pratiques de surveillance, son tri des informations et sa solution unilatérale, ne souffrant aucune remise en question, pour nous sortir d’un marasme qu’il a lui-même créé par ses mesures liberticides, le gouvernement – au sens global du terme – a bafoué les piliers de la démocratie depuis le début de la crise. Et ce, sans que l’on sache pour combien de temps.

Bis repetita

Depuis le début de l’année dernière, on nous répète que suivre les ordres imposés est l’unique moyen de nous en sortir. Or, en février 2021, nous en sommes toujours au même point. Voire pire, puisque nous devons désormais faire face à la menace des mutations du virus. Nous nous évertuons donc à attendre des résultats différents en faisant toujours les mêmes choses. En suivant, à la lettre sous peine de représailles, des mesures attentatoires à nos libertés. Pour quels résultats?

Chercheur associé à l’Université McGill de Montréal, Jacques Pollini est un observateur averti de la pandémie Covid. Pour lui, la restriction des libertés se défend dans le cadre d’une crise collective, qui nécessite une réponse collective. «L’idée qu’il faut à tout prix préserver nos libertés individuelles est en contradiction avec la lutte contre la pandémie, affirme-t-il. Il faut bien qu’il y ait des règles et que les gens les suivent si on veut pouvoir s’en sortir.»

«On peut difficilement y voir autre chose qu’une poussée vers le totalitarisme»

Encore faut-il qu’il s’agisse de règles qui aient du sens: «Dans le cadre de la crise Covid, on n’est pas dans ce cas de figure-là. On nous impose quelque chose à d’autres fins que celles de nous protéger de la maladie, explique Jacques Pollini. Quand on voit les restrictions sur les traitements précoces, alors que toute la littérature scientifique dit qu’ils obtiennent des résultats positifs et significatifs, quand on voit la censure pratiquée lorsqu’on partage les témoignages de médecins qui affirment que cela fonctionne… on peut difficilement y voir autre chose qu’une poussée vers le totalitarisme. On peut néanmoins continuer à descendre dans la rue, manifester et reprendre le contrôle en votant pour une nouvelle génération de décideurs, si on le souhaite.»

Mais le souhaite-t-on vraiment? Il ne s’agit plus pour les gens de se demander si ces mesures sont utiles ou non. Elles sont là et les conséquences d’une négligence peuvent-être potentiellement ravageuses. Alors on se met à obéir au doigt et à l'œil à des ordres que l'on ne comprend pas, qui semblent manquer de fondement scientifique, au risque de devoir payer le prix de notre propension à réfléchir et à remettre les absurdités en question. Peut-on imaginer pire atteinte à notre liberté de penser?

Soumission volontaire

Pour La Boétie, le besoin de se soumettre serait intrinsèque à la nature humaine, qui chercherait à être dominée. Serait-ce pour cela que l’on accepte sans broncher, ou presque, toutes les atteintes à nos libertés? L’incursion de l’Etat dans nos vies privées – à l’image de l’OFSP qui nous explique comment gérer notre hygiène sexuelle – répondrait-elle à un besoin?

Damien Foretay, président du Mouvement suisse pour la liberté citoyenne (MSLC), estime que l'acceptation des peuples vient surtout du fait qu’ils peinent à voir le tableau dans son ensemble. Pourtant, les éléments sont là et il les a listés: «traçage de la population via l'application Swiss Covid ou les codes QR des restaurants; port obligatoire du masque; loi Covid-19 qui permet de légiférer par le droit d’urgence; loi sur les mesures policières contre le terrorisme; différentes restrictions sur la liberté de mouvement et de rassemblement; entrave à la liberté du commerce et à la liberté vaccinale; réduction de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux à l’image des médecins stigmatisés dès qu’ils s’écartent du discours officiel; mise à mal de la liberté de manifester; imposition d'un dogme sanitaire que plus personne ne peut remettre en cause, sous peine de se voir attribuer les étiquettes stigmatisantes de 'complotiste', 'antivax', 'corona-sceptique', etc. »

«L’installation d’une dictature dépend de la réaction ou pas des gouvernés»

Damien Foretay fait partie de ces citoyens qui estiment que la démocratie est en danger. Et il est loin d’être le seul. Rien qu’en Suisse, on dénombre une dizaine d’associations et de mouvements de tous bords, prêts à empoigner les armes politiques afin de s’opposer à ce que Damien Foretay craint de voir venir:

«Dictature sanitaire, ça ne veut pas dire grand-chose dans ce contexte, c’est un abus de langage. Je pense plutôt à une dérive proto-totalitaire, explique ce formateur dans le domaine socio-éducatif. A un contrôle total de la société, notamment via les nouvelles technologies. Dans le totalitarisme, il y a cette notion de l’Etat qui va régenter tous les secteurs de la vie des individus, jusqu’au contrôle des corps, auquel on risque d’arriver si on rend le vaccin obligatoire, explique-t-il. L’OFSP a essayé de codifier les repas de Noël, fin 2020. Toute une série de normes, de prescription qui touchent à l’intime, à la vie familiale, qui font que l’Etat s’invite sous votre toit. Là, on est en plein dans une évolution de type totalitaire.»

Pour le président du MSLC, le but de l’action de ces divers mouvements est, entre autres, d’aider les citoyens à se faire une idée plus claire de la menace qui pèse sur leurs libertés: «Les gens vont-ils décider de réfléchir à tout cela, de faire des liens? Car c’est seulement lorsqu’on remet tous ces éléments en lien qu’on voit se dessiner le contexte dont je parle. Vont-ils commencer à nous soutenir dans la rue? Ou vont-ils rester chez eux? Il y a des marges de manœuvre, il y a de l’espoir. Mais il faut que les gens se rendent compte du chemin sur lequel on est en train d’aller. L’installation d’une dictature dépend de la réaction ou pas des gouvernés et des plans des gouvernants.»

Parmi les mouvements citoyens en cours, Les amis de la Constitution ont obtenu les signatures nécessaires au dépôt d'un référendum contre la loi Covid. Le Collectif santé, soutenu par plusieurs centaines de médecins, a demandé un moratoire sur le vaccin ARNm. La fronde s'organise.

La culpabilisation comme arme de soumission

«Deux leviers peuvent mettre un peuple à terre: la peur et la culpabilisation» écrit Elsa Godart, philosophe et psychanalyste française. Dans un texte pour Philo Mag, elle s’intéresse à la culpabilisation et à ses conséquences. Un sujet qui résonne particulièrement bien dans le contexte actuel: «Toutes les injonctions qu’on a aujourd’hui: manger cinq fruits et légumes par jour, être une bonne mère, un bon père, trier ses déchets… sinon c’est pas bien. On fait mal. Et si on fait mal, la communauté nous tombe dessus, explique l’auteure d’Ethique de la sincérité lors d’un entretien téléphonique.

«Le fait que l’on soit face à une question de vie ou de mort annihile toute velléité de penser»

«On est soumis en permanence à des jugements. Où chacun se fait le juge de tous. Si on n’entre pas comme il faut dans la norme, on est rejeté, banni. Ce qui induit un principe de culpabilité qui de facto entraîne une forme d’inhibition. Quand on culpabilise, on est convaincu d’être coupable. D’avoir mal fait. Replié sur cette mauvaise conscience et donc sur soi, on se retrouve dans une situation de soumission. De soumission volontaire puisque nous sommes convaincus d’être coupable.»

Faut-il sacrifier la liberté au profit de la sécurité? Lorsqu’il est question de vie ou de mort, on n’hésite pas longtemps. Mais est-ce pour autant l’expression d’un choix? Pour Elsa Godart, «le problème n’est pas la pensée unique, mais simplement qu’il n’y a pas lieu de penser. Le fait que l’on soit face à une question de vie ou de mort annihile toute velléité de penser».

Reste à savoir si nous sommes réellement dans une situation où nous devons choisir entre la vie et la mort…

Les affres de la désinformation

Il y a quelques semaines, la RTS annonçait une mortalité jamais vue depuis la grippe espagnole. Comme une preuve indiscutable du bien-fondé de son soutien public, avec les deniers des citoyens, aux mesures prises par le gouvernement. Fidèle à son parti-pris conformiste tout au long de son traitement de la crise, le service public, devenu porte-parole officieux du Conseil fédéral, n’a offert aucun travail de mise en perspective et encore moins d’analyse des informations qu’il se contente d’ânonner avec la certitude inhérente à son statut de pouvoir public.

Sauf qu’il y a énormément de facteurs à prendre en compte avant d’asséner une telle conclusion, comme le rappelait Fabien Balli-Ganz, dans un article pour Bon pour la tête. De plus, les chiffres de la mortalité sont basés sur une inconnue non négligeable: les victimes sont-elles mortes DU ou AVEC le virus? Interrogé précédemment, l’OFS reconnaissait ici même qu’on ne pouvait pas faire cette distinction. Publier ces chiffres sans répondre au préalable à cette question relève donc de la désinformation.

L’ennui, c’est que cette diffusion partielle de l’information, cet exposé anxiogène et parcellaire des données est une constante depuis le début de la crise, autrefois sanitaire.

Les informations solides qui vont à l’encontre du discours officiel n’obtiennent que peu d’échos dans la presse généraliste. Seuls des médias de droite ont relayé, par exemple, les résultats de l’étude du professeur Ioannidis, considéré comme l’un des plus grands épidemiologistes vivants, qui remet en cause le bien-fondé du confinement.

Le prix à payer de la liberté

Pourtant, dans ce brouhaha collectif unilatéral, certains – et non des moindres – estiment qu’il n’y a rien à reprocher ni aux médias, ni aux gouvernements. C’est le cas du célèbre Noam Chomsky, linguiste et activiste politique, qui a accepté de répondre aux questions de L'Impertinent: «En Nouvelle-Zélande, en Australie, etc., les médias n'ont pas 'fabriqué' le consentement. Ils ont présenté des informations précises qui ont conduit au consentement, et ont pratiquement éradiqué la maladie, de sorte que les pays sont à peu près revenus à la normale», explique-t-il.

Selon l’Américain, plus les mesures étaient dures, plus elles étaient efficaces. Le fait que l’Europe ne s’en soit pas encore sortie tend à démontrer qu’elle est bien loin de la dictature: «Des démocraties libérales qui ont imposé des contrôles très stricts et ont largement vaincu la maladie, sans le moindre mouvement vers l'autocratie, affirme Noam Chomksy. J'ai également donné des exemples de démocraties libérales où les citoyens n'étaient pas disposés à accepter les contrôles, comme l'Europe continentale, et qui ont souffert. Et d'autres démocraties libérales où le gouvernement n'a toujours pas institué de contrôles sérieux et où les opinions (qui dénoncent une dictature, ndlr) constituent une catastrophe, comme aux États-Unis. Aucune évolution vers l'autocratie nulle part.»

Il est intéressant de constater qu’aux Etats-Unis, la négligence de l’administration Trump a eu pour conséquence de déclencher un tel désamour que le peuple en viendrait presque, selon plusieurs témoignages, à regretter de ne pas avoir été aussi materné qu’en Europe. Mais ce sujet mériterait d’être développé dans un autre article.

Retours en arrière

En plus de leur caractère attentatoire à la liberté, les décisions prises nous font reculer en tant que société: nous venions d’interdire le plastique à usage unique et les masques sont sur le point de devenir un problème de pollution supplémentaire grave. Sans parler des lois concernant les visages couverts et de la tendance à la délation devenue pratique courante. Les «dîners de la honte» se retrouvent en Une des magazines, des fêtards se voient lynchés sur les réseaux sociaux et même le personnel soignant est cloué au pilori lorsqu’il est pris en flagrant délit de fiesta.

La question n’est pas tant de débattre sur le niveau de contrainte des mesures de distanciation sociale, de lavage de main ou de port du masque obligatoire. La question est de savoir si nous retrouverons, ou non, les libertés que l’on a perdues.

Où en sommes-nous?

Sommes-nous en dictature? Le simple fait que cette question puisse être posée publiquement tend à démontrer que ça n’est pas encore le cas. Du moins pas au sens strict du terme. Cependant, de nombreux éléments, comme ceux cités par Damien Foretay, vont dans le sens d’une forme semi-approuvée d’autoritarisme.

La différence avec Pyongyang, c’est que là-bas, le débat n’existe pas et les informations nuancées ne sont pas accessibles. On n’a pas le choix. Ici, on nous abreuve sans arrêt de nouvelles qui vont toujours dans le même sens, on nous demande d’obéir à des consignes si contraignantes qu’on n’a plus le temps de s’interroger, ni de les remettre en question, car on est trop préoccupés par les conséquences d’une entorse aux directives qui nous exposerait à encore plus de déconvenues chronophages et entravantes. Finalement, toute proportion gardée, on n’a pas vraiment le choix non plus.

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